lundi 23 janvier 2012

Noir Désir


« Je suis le seul trentenaire à rapper comme un adulte » affirmait Rocé en 2010. Comprendre le sens et l'exactitude de cette provocation m'aura pris longtemps : deux ans et un album de Youssoupha très exactement. Parce que 6 ans après son « Éternel recommencement » introductif, le « lyriciste bantu », qui reformule l'idée de Rocé dans son excellent Noir Désir, a fait un sacré chemin et vient aujourd'hui porter le rap un peu plus haut qu'il ne l'était déjà.

« Le rap s'est catégorisé comme une musique de môme. [...] Quand j'ai commencé, vers 14 ou 15 ans, je faisais du rap d'adolescent. Aujourd'hui j'ai passé le cap des 30 ans, je fais du rap d'un mec de 30 ans» m'avait expliqué Youssoupha dans une interview que je devais publier aujourd'hui mais qui, à l'instant où j'ai écouté l'album, m'a paru bien moins importante que cette modeste chronique.


Le rap d'un mec de 30 ans, qui me semble désormais bien plus rare que ce je voulais croire malgré l'avertissement signé Rocé, ne passe pas forcément par « des issues comme le jazz et le slam ». Celui de Youssoupha se reconnaît plutôt à la présence de certains thèmes, et plus encore à la manière qu'il a de les traiter. Comme lorsqu'il sample un sublime morceau de son père, légende de la rumba congolaise, pour mieux parler de son fils (« Les disques de mon père »). Un concept généalogique d'autant plus délirant que le Tabu Ley Rochereau s'adressait lui aussi à sa descendance dans le morceau d'origine. Ou comme lorsqu'il aborde les relations amoureuses qui finissent mal (« Tout l'amour du monde ») dont il avait déjà parlé avec éloquence dans son « Anti-Vénus ». Mais Youssoupha s'est apaisé depuis et préfère désormais parler d'amour plutôt que de vengeance. « T'avais jamais entendu de rap d'amour » aurait-il pu s'auto-plagier tant le sujet est omniprésent dans un album dont on comprend mieux la signification de son nom après l'avoir écouté, même si l'Afrique et la Négritude ne sont finalement traitées qu'en pointillé. 
 
Le rap d'un mec de 30 ans, c'est aussi un rap qui sait s'ouvrir au grand public sans se corrompre (« Histoires vraies » avec Corneille) tout en sachant donner dans le hors format (« Espérance de vie »), un rap qui sait se défendre (« Menace de mort ») et glisser quelques quenelles, qui élargit sans cesse son univers de références, qui prend le risque d'inviter un artiste atypique et peu connu («Bouche à oreille » avec Taipan), qui sait manier les punchlines et les gimmicks (« Viens »), qui sait d'où il vient (« 4h37 ») et où il va («J'ai changé »). 


La place de plus en plus importante qu'il semble accorder à la religion peut gêner, mais Youssoupha maîtrise tellement sa plume et ses flows et fait preuve d'une telle lucidité sur son art et son époque que Noir Désir ne décevra pas ceux qui l'attendent impatiemment. Et ils sont nombreux tant la gestion des mois qui ont précédé sa sortie a été bonne. Du procès du mois de septembre aux vidéos du mois de janvier en passant par les publications sur facebook et twitter. Là aussi la preuve d'une grande maturité. Noir Désir est finalement un album dense et complet dont l'un des seuls défauts est peut-être d'avoir été précédé par un buzz si fort et des extraits tellement convaincants qu'on est frustré lorsque la dernière piste arrive.

« 2012, c'est l'année du geste » avait prévenu Youssoupha en référence à un délire qu'il n'explique pas mais qu'on finit par comprendre. C'est peut-être aussi celle aussi ou le rap français va définitivement prendre le virage qu'il a raté au début des années 2000. Il était alors âgé d'une vingtaine d'année, mais il en a désormais 10 de plus.



L'interview de Youssoupha sera en ligne d'ici quelques jours. D'ici là découvrez le début du compte à rebours :

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