mercredi 30 mars 2011

« En club, le hip hop vient de Fun Radio »


Galères diverses avec l'enregistreur, travaux plus importants à finir, perte de motivation, vacances, oubli : cela fait plus d'un an déjà que Cut Killer (je vous épargne les présentations) a répondu à ces questions. C'était quelques minutes avant une soirée « MTV-Shake ton booty », dans une obscure boite de nuit de l'agglomération nantaise, qui accueillait aussi un groupe de rap encore peu connu à l'époque : Sexion d'Assaut. Leur interview est . Celle de Cut Killer ici.

Moi : Je vais commencer avec une question que je rêve de te poser depuis que j'ai vu La haine... Dans le sample de KRS One de « Sound of da Police » que tu as utilisé pour la scène ou tu mixes à la fenêtre, on jurerait entendre « assassin de la Police ». Énorme hallucinatin auditive... Est-ce volontaire ?

Lui : Pour moi, franchement, c'était « It's the sound of the police ». La culture française s'est accaparé le son en pensant que ça disait «  assassin de la police », et effectivement ça prête à confusion puisqu'il y a juste après un « nique la Police ». Certains connaissent le sample car c'est un morceau classique, d'autres sont dans la confusion. Les gens comprennent ce qu'ils ont envie de comprendre, mais au départ, pour moi, c'était le sample de KRS One et c'est tout...

Les paroles de ce mix sont relativement violentes, ça n'a pas fait polémique à l'époque?

Non, personne ne s'est élevé parce que morceau faisait partie d'un film. Il aborde le thème de la Police, qui est aussi le concept du film. Si le morceau avait été fait de lui même, ça aurait peut être été compliqué, mais vu qu'il fait partie d'un passage classique de ce film là, il n'y a pas eu de soucis.



Un DJ peut-il ou doit-il être engagé ?

Essayer de faire danser les gens, c'est ça la politique du DJ. Le principe de l'engagement est souvent attribué à des DJs qui sont derrière des artistes, mais nous sommes de plus en plus des auto-entrepreneurs.

Tu as commencé derrières des rappeurs. Ne plus avoir personne devant toi ne te manque pas ?

Non, ça me va très bien. Après avoir fait le DJ derrière MC Solaar, le 113, Fabe et surtout derrière East, je suis rentré dans une configuration club. J'ai mis de côté le turntablism pour me concentrer sur le clubbing parce que c'est quelques chose que je kiffe. C'est à toi de choisir la direction dans laquelle tu veux aller. Et peut-être d'avoir un engagement politique à travers le style musical que tu fais partager au public. 

Finalement Tu t'engages à faire danser les gens.

Oui ! Le clubbing, c'est très intéressant quand tu sors de la France. Parce qu'ici, et plus largement en Europe, c'est encore compliqué de faire bouger les gens avec un style différent. Ils sont très formatés. Il ne faut pas se plier aux exigences du public, imposer son style et faire en sorte que les gens puissent danser dessus.


Ça y est , la vidéo a été enlevée. On a enchainé avec un communiqué de presse. C'est normal parce que j'avais fait une interview qui a été sortie du contexte. Ils en ont fait un montage qui laissait comprendre que j'étais ok sur le principe de l'Hadopi, alors que ce n'était pas du tout ça. Ça a été très vite réglé. 
 



Du coup on ne connaît toujours pas ton avis sur le téléchargement...

Tu ne peux qu'accepter le fait qu'il y a eu énormément de changement dans la manière de consommer la musique. Les gens se sont équipés d'ordinateurs, mais on ne leur a pas donné de barrière dans l'échange de sons. De là à faire en sorte qu'il y ait une répression, oui et non. Il faudrait plutôt investir dans la création d'un autre format que le mp3. On veut interdire le téléchargement, mais on ne fait pas grand chose pour qu'il y ait du changement. Réprimander les gens qui téléchargent, c'est une aberration.

Tu es plus discret qu'à tes débuts sur le marché du disque. Est-ce lié à la crise que traverse l'industrie ?

Bien sûr. La crise du disque, on l'a subit relativement tôt, dès 2003. Mais les maisons de disques n'ont pas vu le loup arriver. Elle se sont dit : « On va voir. Si les américains ne bougent pas, on ne bougera pas ». Finalement, la crise financière a été hardcore dès le départ. Il n'y avait plus assez d'argent pour payer le nombre incalculable de stagiaires et autres directeurs artistiques. Les compilations ont été les premières touchées puisque les DA se sont improvisés DJs. Ça ne m'intéresse pas de mixer gratuitement pour une maison de disques. C'est la raison de cette discrétion. C'est involontaire, mais je fais avec.

Label, fringues, show case, radio... Est-ce que finalement tu n'as pas trouvé la solution à cette crise en te diversifiant ? Tu n'as plus besoin de sortir des disques pour vivre, de toute façon ?

C'est vrai. Mais pour le grand public, c'est compliqué de savoir si un artiste est toujours présent s'il ne sort plus rien. Les gens se demandent si j'existe encore. Le grand public est resté bloqué sur le disque.


Est-il encore possible de ne vivre que de sa musique en 2010 ?

En sortant seulement des disques, non. En faisant un spectacle vivant, oui. Les concerts et les soirées sont l'une des premières sources de revenus.

C'est dans tes projets de ressortir des mixtapes?

Je ressors déjà les anciennes via des podcasts. Nous donnons ou laissons les nouvelles en téléchargement pour se diversifier et faire de la promo.

À l'époque tu mettais en avant de jeunes artistes. Qui mettrais-tu à l'honneur aujourd'hui ?

Sexion d'Assaut. C'est un groupe super intéressant qui apporte de la fraîcheur dans l'univers du rap français. Si je faisais toujours des mixtapes, j'en aurais fait une avec eux. (note pour moi même : penser à lui reposer la question maintenant que la polémique est passée par là)

Tu as commencé en regardant Dee Nasty, qui essaie de transmettre les valeurs historiques du hip hop : peace, love, unity, tout ça. On te sent moins concerné par ces valeurs, d'autant plus que tu travailles depuis longtemps pour des médias tels que Skyrock ou MTV qui développent des esthétiques qui s'en éloignent.

Parce que je suis issu d'une génération qui a vécu avec l'univers des DJs américains, qui travaillaient aussi dans un esprit marketing. J'ai choisi une direction qui est opposée à l'univers de la Zulu Nation, mais je la respecte beaucoup. Concernant Skyrock et MTV, quelles sont les valeurs ? Quel est le concept que l'on doit défendre ? Son « intégrité », pour rester dans un créneau fermé, ou alors essayer de mettre en avant cette musique qui ne cesse d'évoluer ?

Je te regarde d'en haut, tu me regardes d'en bas.
C'est drôle de constater que tu jouis toujours d'une bonne image auprès des « puristes » du hip hop, malgré tes relations avec Skyrock et MTV, alors qu'on reproche encore à Booba, par exemple, son passage à la Star Academy.

J'ai toujours joué ce que je voulais à Skyrock, même si au départ on a crié au scandale parce que c'est une soi-disant radio commerciale. MTV, c'est un concept que l'on a monté ensemble pour mettre en avant cette musique. Parce qu'aujourd'hui, quand tu vas dans un club, c'est une musique généraliste assez electro que tu entends. Le seul hip hop qui passe en club vient de Fun Radio.
Le temps n'a pas épargné Dee Nasty, dont on parlait juste avant. Il sort des trucs dans l'anonymat alors que Grandmaster Flash, aux USA, arrive encore à faire parler de lui.

Dee Nasty c'est le papa. C'est celui qui a amené le hip hop en France. Malheureusement, on n'a pas un réseau aussi bien organisé que les Américains et il n'y a que peu de place pour la oldschool. Et puis beaucoup de gens ont zappé Dee Nasty parce qu'il est resté dans un créneau assez underground. Il faut vraiment être fan pour kiffer. Beaucoup aime bien le personnage, mais sa musique est assez indé. Le fait qu'il soit mis de côté c'est malheureux, parce que c'est une figure du hip hop en France. 

 

Tu t'imagines vieillir dans la musique ?

C'est à moi de faire en sorte d'être toujours sur la carte. Si tu veux rester il faut travailler. Si je suis là aujourd'hui c'est parce que j'ai encore l'envie et la passion. J'ai 38 ans, mais quand je vois mes icônes encore sur scène aux États-Unis, je me dis que je peux aussi. D'autant plus qu'on a moins de concurrence qu'eux...

La question que je pose à tous les DJs que je croise : vinyles ou Serato ?

Moi, je suis Serato. Le concept du vinyle a été extraordinaire, mais le Serato est une évolution qui nous a sauvé la vie. Le marché du disque n'existant plus, ça aurait été compliqué de continuer à jouer en vinyle. À moins de ne jouer que des vieux morceaux... J'ai été un précurseur du Serato parce que je trouvais ça extraordinaire d'arrêter de s'abimer le dos à porter cinq bacs à disques, alors qu'avec un ordinateur tu peux porter 100 000 bacs à disques... Et puis ça permet des configurations de mix inespérées. Tu peux faire une mixtape en live avec un Serato !

J'avais encore des questions à poser, mais l'enregistreur du merveilleux département Information-Communication de l'université de Nantes (c'est ironique, ça fera l'objet d'un prochain billet) a préféré s'éteindre. Nous n'en saurons donc pas plus sur le film que Cut Killer prépare avec Mathieu Kassovitz, ni sur le « prochain » album de Booba dont il avait déjà, à l'époque, écouté quelques extraits. Faites pas chier, c'est sorti depuis 6 mois maintenant

Bonus complètement collector: les choses se passent à fond à 3'50. 


Overseen by Adam Hunter.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire